
Sortir du monde des robots
Awase et Musubi font partie de ces notions transverses que chaque adepte explique et manifeste différemment. Il s'agit de termes qu'on utilise peu en Shiatsu, voire pas du tout. Pour autant, les principes qu'ils recouvrent, eux, sont largement employés. Observons donc l'Aïkido à travers le prisme du Shiatsu...
S'harmoniser ?
On définit généralement Awase comme le fait de s'harmoniser. Mais que signifie s'harmoniser, et à quoi ou à qui s'harmonise-t-on ?En premier lieu, on peut constater que lorsqu'on se sent « en harmonie » avec quelque chose (un lieux, un paysage, une personne ou une situation), la frontière qui nous sépare de ce quelque chose s'amenuise. Et cela provoque généralement un sentiment d'apaisement, propice à la réception d'informations et à l'action juste.
S'harmoniser cela pourrait donc être se rendre perméable, afin de recueillir un maximum d'informations, en vue d'agir ou non (après tout, l'action juste peut très bien être de ne rien faire !).
En pratique lorsqu'un praticien de Shiatsu reçoit un patient, il ne cherche pas à créer une barrière avec ce dernier. Au contraire il essaie de se rendre perméable afin de recueillir le maximum d'éléments pour son diagnostic. Il prend ainsi en compte la démarche, la posture, le son de la voix, les odeurs corporelles, la couleur du teint, les rides éventuelles, la nature des propos, les émotions et sensations qui surviennent, etc.
Plus le Shiatsuki* sera en ouverture et apaisé, plus il « s'harmonisera » au Jusha**, plus il recevra d'éléments pour son diagnostic. Ce qui est intéressant c'est que cette écoute bienveillante apaise le patient, qui délivrera alors davantage d'éléments pour le diagnostic. C'est un cercle vertueux.
D'autant plus que le simple fait d'être à l'écoute produit déjà un effet thérapeutique.Cette phase préalable « d'harmonisation », fait à mon sens la différence entre un maître et un apprenti. Ainsi, l'essentiel du travail s'effectue en amont et cela facilite grandement les choses. Mais peut-on réellement parler de travail ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un état d'être qui facilite tout ? Une sorte d'action non agissante comme l'évoque la philosophie orientale.
Ainsi, il me semble qu'avec la notion d'Awase, il y a l'idée d'aller dans le sens du courant, d'accepter les choses telles qu'elles sont.Concernant les arts martiaux, cela peut se traduire de manière concrète par le fait de respirer sur le même rythme, de lever les Bokkens en même temps, d'entrer en contact sans heurts, d'esquiver sans précipitation mais simplement parce qu'on avait senti le moment juste... Bref, de l'extérieur cela doit ressembler à une danse, et le néophyte spectateur jugera que Uke est consentant alors que Tori s'est « juste » harmonisé à son mouvement.
On notera que Awase doit s'appliquer le plus tôt possible et de manière immédiate. Lorsque le patient monte les escaliers qui le mènent au cabinet de Shiatsu, le praticien est déjà en Awase avec lui. De même un expert au sabre n'attend pas de créer un contact pour être sur le rythme de son adversaire, cela se fait d'emblée. Ce qui ne facilite pas la chose...
Accepter pour transformer
Accepter les choses et s'y adapter, cela ne signifie pas qu'on ne désire pas les faire changer ! Il est évident que le Shiatsuki souhaite faire évoluer la situation de son patient. De la même manière le pratiquant d'Aïkido ne désire pas uniquement s'harmoniser aux mouvements de son partenaire. Il cherche généralement à le faire chuter ou à l'immobiliser.Il s'agit maintenant de définir comment agir sur l'autre de manière harmonieuse tout en capitalisant la porte d'entrée fournie par le principe Awase. En effet, une fois en Awase avec votre Uke ou votre Jusha, il y a un moment où il vous faudra « reprendre la main » afin de l'amener là où vous le souhaiter : au sol ou vers un état de mieux être selon le cas !
Musubi : unir
Comment reprendre l'avantage alors ?Une fois Awase présent, on peut arriver à un stade où l'on ne sait plus qui initie le mouvement. Il me semble que c'est le moment idéal pour intervenir. La difficulté en somme va être de bouger l'autre sans le contraindre, mais sans le laisser faire ce qu'il veut pour autant. Plus la relation que l'on a créé avec son partenaire sera forte, plus facile sera le mouvement.
C'est là qu'intervient Musubi, en exprimant l'idée de lien, d'union. Certains auteurs parlent de fusion, probablement pour exprimer l'idée d'un lien très fort, mais il ne faut pas se perdre dans cette fusion au risque de laisser Uke reprendre l'initiative.
L'idée d'harmonie existe aussi dans Musubi. Voici donc une petite scène qui illustre parfaitement les deux principes :
« Vous êtes assis à côté de votre compagne ou de votre compagnon et regardez un film. Vous commencez à respirer au même rythme et à la même intensité que votre partenaire, c'est Awase. A un moment donné, une fois le rythme établi, vous pouvez modifier votre respiration, en accélérant ou en ralentissant, et votre partenaire suivra ce changement, c'est Musubi ».
Dans le cadre du combat la difficulté c'est que les deux protagonistes recherchent la même chose et que leur attention est focalisée sur ce qui se passe et non sur un film.On parle généralement de Ki-musubi. Définir ce qu'est le Ki, mériterait un article à lui seul. On peut toutefois noter que cela regroupe une multitude d'idées et que la langue japonaise l'emploi à foison. On parle d'énergie, d'intention, d'état d'être, de savoir faire, etc. C'est un terme relativement vague en fait. Quoiqu'il en soit, cela désigne une globalité et je pense que lorsque l'on dit « se lier à l'autre » en employant le terme Musubi, on pense à la totalité de son être (physique, psychique, émotionnel...), donc le terme Ki est superflu.
On notera enfin qu'il n'y a pas vraiment de limite définie entre Awase et Musubi, et que l'un et l'autre interviennent à des moments différents selon la technique. Cela rend leur transmission d'autant plus difficile.
Animation d'une initiation au Shiatsu lors d'un stage d'Aïkido |
C'est là qu'intervient le Kata. Ce moule hypercontraignant va obliger l'étudiant à faire différemment ce qu'il fait habituellement.
Grossièrement on pourrait dire, par exemple, que tel mouvement proposé par le Kata est impossible, sauf si l'on maîtrise le principe d'Awase, ou de Musubi. Ce qui est fantastique c'est que le Kata est à la fois le moyen de progresser, mais aussi l'instrument d'évaluation. Ainsi quelqu'un qui n'a jamais pratiqué le Kata, mais qui maîtrise le principe qui le sous-tend peut tout à fait le réaliser (sous couvert d'apprendre sa forme d'expression).
À ce titre, l'exemple de cette praticienne de Seïtaï m'a frappé. Elle raconte comment le chat de sa patiente intervient lors d'une séance, et la corrige : « Il a appuyé sa patte sur ce doigt trop léger, son cou sur ce poignet trop raide, m’a regardée droit dans les yeux, et mon toucher n’a plus jamais été le même ».
Le chat ne connaît rien au Seïtaï, mais il sait d'instinct « harmoniser » une situation. Pour un praticien de discipline de santé cela pose d'entrée la question suivante : est-il vraiment nécessaire d'apprendre quoique ce soit si un chat peut faire mieux que moi ? Finalement ne s'agit-il pas davantage de « retrouver » une capacité innée plutôt que d'en développer une ?
En Shiatsu, le Kata peut y aider, mais il n'est pas le seul chemin. Il existe quantité de personnes qui, sans formation particulière, font des étincelles lorsqu'ils posent leurs mains sur quelqu'un...
Dans le cadre d'une pratique martiale ce retour à une capacité innée apparaît plus compliqué. Et ce d'autant plus lorsqu'il y a manipulation d'armes, qui sont loin d'être des outils avec lesquels on est nés. À se demander si l'homme n'est pas mieux préparé à guérir son prochain qu'à le combattre...Panacée ou pas ?
Là où le bas blesse, c'est lorsqu'on ne comprend pas les principes à travailler dans le Kata et qu'on les répète à la manière d'un robot. On devient alors vite expert en Kata, plutôt qu'être expert en principes régissant les Katas.L’ambiguïté réside probablement dans le fait que le Kata peut être pris à la fois comme moyen pédagogique et comme situation de combat plausible.
Cette méconnaissance génère des formes dites « vides » (qui sont rarement vides, mais plutôt incomplètement pleines) et cela peut être source de tensions inutiles. Un ostéopathe me disait récemment que les patients qui présentaient le plus de tensions à la nuque étaient les pratiquants d'Aïkido ainsi que ceux de Yoga, « parce qu'il y a une forme à respecter, cela crée des tensions ». Comme le hasard fait bien les choses, j'ai reçu le lendemain une pratiquante acharnée de yoga (5h par jour) qui était d'une souplesse incroyable... avec la nuque la plus raide que j'ai jamais vue !
On peut imaginer que les tensions peuvent aussi naître d'un trop grand désir de réussir (une projection, une immobilisation, un soin...). En guise de conclusion il me semble donc judicieux de se débarrasser de ce désir de réussite, pour se parer du désir d'harmonie. Belle idée en effet, et même si le mot est galvaudé il ne faut pas oublier que les pratiquants d'Aïkido ont une obligation de moyen et non une obligation de résultat. Charge à nous de quitter le monde des robots pour entrer dans celui de la sensation !
*Shiatsuki : praticien de Shiatsu
**Jusha : patient, celui qui reçoit le traitement de manière non passive.RUBRIQUE
Un point c'est tout !
Sur le triangle de chair séparant l'index du pouce vous trouverez le point Gros Intestin n°4.
La légende raconte que les policiers de la Chine ancienne menaient les ivrognes au poste en pressant ce point puisqu'il devient très sensible en cas d'excès alimentaires ou alcooliques.
C'est un des grands points de traitement du haut du corps. On l'utilise notamment pour la constipation, les symptômes du visage (maux de tête ou de dent, rhume...). Attention, c'est un point dit abortif puisqu'il facilite les contractions.