
Dans le cas de l'Aïkido, il semble donc parfaitement logique de vouloir étudier la manipulation des armes, afin de comprendre l'origine des techniques sans armes. Malheureusement, les liens entre ces deux pratiques ne sont pas clairement établis...
En effet, il est de notoriété publique que Morihei Ueshiba n'enseignait pas la pratique des armes de manière systématique. Il en ressort que ses élèves directs ont chacun eu une approche singulière quant à la pratique de l'Aïkiken* – le sabre de l'Aïki. Certains ont organisé les quelques formes qu'ils avaient pu glaner auprès du fondateur afin d'en faire un tout cohérent, d'autres ont complété leur pratique en étudiant des traditions d'armes complètes et d'autres encore ont créé leur propre système.
O Senseï ayant lui-même employé chacun de ces moyens pour servir sa cause, on peut supposer qu'il ne renierait aucune de ces options.
L'utilisation du sabre est-elle pertinente en Aïkido ?
Pour autant, on peut se poser la question de la pertinence de l'étude d'une telle arme. Le novice pourrait ainsi se faire les réflexions suivantes :
« - c'est désuet, plus personne ne se promène avec un sabre et j'ai passé l'âge de jouer à l'épée,
- apprendre à manipuler correctement un bokken constitue un travail supplémentaire et il y a suffisamment de techniques en Aïkido pour ne pas avoir besoin d'en rajouter,
- les liens avec la pratique à mains nues ne sont pas clairement établis et me laissent dubitatifs,
- si je voulais vraiment faire des armes j’intégrerais un koryu,
- s'il s'agit juste d'un outil pédagogique permettant de clarifier distances et directions, pourquoi ne prend-on pas un mètre ruban et un compas ? On serait plus précis,
- etc. »
Pour ma part, je considère que le travail au sabre permet à l'adepte de découvrir assez tôt des composantes essentielles du combat de survie. Ainsi, la distance, la vitesse et la sensation de danger sont des éléments plus aisément perceptibles avec un bokken qu'à mains nues.
En fait, il y a probablement autant de raisons d'intégrer la pratique des armes à l'Aïkido que de ne pas le faire. Si l'on choisit de le faire il faut clairement définir les objectifs recherchés. C'est souvent là où le bas blesse. En dehors de l'absence de connaissance quant à la manipulation spécifique de l'arme, la pratique de l'Aïkiken souffre généralement de deux maux.
Le premier consiste à ne pas faire de liens avec la pratique à mains nues. C'est dommageable, car si l'on tient compte du fait que rien n'est formalisé en ce qui concerne l'Aïkiken (et que les pratiquants d'Aïkido sont souvent la risée des sabreurs dont c'est la spécialité), cela revient à mal pratiquer quelque chose d'inutile à l'Aïkido.
La seconde tendance concerne le désir de « trop » vouloir faire de liens. Cela amène parfois à des formes « pédagogiques » sans grande cohérence martiale. Dans ce cas on perd l'intérêt du bokken en tant qu'arme dangereuse et l'on pourrait, en effet, y substituer un mètre ruban.
Établir des relations, à la fois subtiles et profondes, n'est pas chose aisée...
De la difficultés de faire des liens
La question que j'aimerais soulever à travers l'exemple de l'Aïkiken porte sur comment vivre l'étude simultanée de plusieurs disciplines.
La première idée que l'on peut avoir, c'est que, quoique l'on fasse, le premier lien existant entre toutes nos activités c'est nous-même ! Ainsi, il est tout à fait possible d'avoir deux pratiques totalement opposées en terme de recherche. L'une peut donc sans problème avoir pour objectif un enracinement profond alors que l'autre peut viser une recherche de légèreté par exemple.
Toutefois, lorsque l'on souhaite atteindre un objectif spécifique, il semble assez judicieux que toutes les disciplines que l'on étudie servent un but commun. Cela permet de gagner un temps précieux en observant le même problème sous des angles différents.
Ainsi, il me semble incorrect de dire qu'il y a des liens entre tous les arts martiaux. Certes le corps reste le corps et certaines notions sont communes, mais il s'agit généralement de notions de bases. Les chemins d'explorations, eux, sont plutôt multiples. Et c'est heureux, chacun peut ainsi choisir ce qui lui correspond. Les liens entre différentes disciplines n'existent pas de facto, mais sont plus de l'ordre de la création. Ainsi, en fonction de la façon dont il pratique, un boxeur peut davantage se rapprocher d'une danseuse que d'un Aïkidoka.
En ce qui me concerne, j'entends souvent parler « des liens entre le Shiatsu et l'Aïkido » comme s'ils étaient évidents. Bien sûr, il s'agit de deux disciplines japonaises. Bien sûr, ce sont les deux faces opposées d'une même pièce (donner la mort et maintenir la vie). Bien sûr, on utilise la position seïza dans les deux cas (ce qui permet aux Aïkidokas d'entrer aisément dans la pratique du Shiatsu)… Mais une fois sorti des généralités et des poncifs il s'agit de trouver des liens autrement plus profonds !
Faire vivre le fond commun
Si l'on considère l'Aïkido ou le Shiatsu comme des outils, cela signifie qu'ils doivent servir un but.
En dehors du plaisir immédiat que l'on prend à pratiquer, je trouve particulièrement intéressant l'impact que peut avoir la pratique physique sur le positionnement psychique de l'individu. Il me semble que c'est là que l'on trouve l'essence même des budos : comment le temps passé sur les tatamis améliore-t-il notre vie quotidienne ?
Il s'agit de vérifier que l'état d'esprit mis en place dans la pratique corresponde à celui que l'on veut développer dans sa vie hors du tatamis. Il me semble que le premier accès à l'esprit passe, paradoxalement, par le corps. Loin des jeux de l'intellect, se concentrer sur nos sensations corporelles nous amène à plus de présence. C'est en somme ce que proposent de nombreuses techniques de méditation : observer le jeu de l'esprit dans le corps en s'appuyant sur les sensations.
Ces sensations fines (on doit pouvoir différencier le poids d'une pièce de 20 centimes de celle de 10 centimes) amènent à un état de corps bien précis et identifiable. Ce dernier n'est pas exclusivement lié à la forme de corps et permet donc d'être employé quelle que soit la discipline.
Dès lors, mon travail consiste à vérifier que j'utilise bien mon corps de la même manière en Aïkido et en Shiatsu.
L'outil étant le corps, c'est en étudiant très précisément la manière dont on l'emploie que l'on peut établir une unité de pratique. Il s'agit donc davantage d'un travail sur la conscience, que d'un travail sur la forme.
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à l'instar de Barberousse, détruire ou soigner procède du même principe |
La liste est bien entendu, non exhaustive :
- en Aïkido, mon intention est déjà clairement définie avant la technique = en Shiatsu, mon intention précède le toucher et lui succède
- en Aïkido, je ne crée pas de ligne de tension entre mes pieds et mes mains afin que mon partenaire ne puisse s'appuyer sur moi (je ne pousse pas dans le sol) = en Shiatsu, je ne crée pas de ligne de tension afin d'effectuer une pression diffuse plus profonde et plus agréable pour le patient
- en Aïkido, je conserve des appuis et un état de corps léger afin de bouger rapidement = en Shiatsu, je fais de même afin de me déplacer librement autour de mon patient sans avoir à m'appuyer sur lui
- en Aïkido, j'essaie par l'intermédiaire d'une saisie de contacter l'ensemble du corps du partenaire (de prendre le centre) = en Shiatsu, j'essaie -par le biais du toucher- d'accéder à l'ensemble des parties du corps.
De la nécessité de vider sa tasse
Une fois cela établi, de nouvelles difficultés peuvent apparaître. Il est relativement rare de commencer plusieurs disciplines en même temps. Du coup, il y aura toujours une pratique qui aura en quelque sorte une « antériorité » par rapport aux autres. Celle-ci constitue une grille de lecture permettant parfois d'entrer plus rapidement dans une nouvelle discipline. Par exemple, un danseur qui a l'habitude d'observer et de reproduire un mouvement étudiera l'Aïkido avec un avantage par rapport à un novice lambda. Toutefois, la grille de lecture peut devenir sclérosante. Le phénomène qui se produit est alors le suivant : tout ce qui correspond à la grille de lecture existante vient la renforcer, tout ce qui ne peut pas s'y inscrire est écarté.
Or, il faut rappeler que, s'il y a des points communs, il y a aussi des différences. Et ces différences permettent parfois d'apporter un éclairage nouveau sur un problème commun. Si l'on écarte la différence au prétexte qu'elle ne rentre pas dans notre sacro-sainte grille de lecture, on se prive d'un apport qui aurait pu nous faire progresser.
En somme, il faut savoir vider sa tasse, sans oublier qu'à l'instar d'une grille de lecture, une tasse peut permettre de recevoir... du bon thé !
Notes
*Aïkiken, bokken, bokuto, katana, to… Quel terme choisir ?
Le terme « boku » correspond au bois (il se prononce ki lorsqu’il est employé seul). L'idéogramme pour « ken » désigne un glaive qui est donc normalement tranchant des deux côtés. Le terme bokken, même s'il est couramment employé ne correspond donc pas à l'arme utilisée en Aïkido. En revanche, l'idéogramme de « to » est le même que celui de « katana » (qui peut se traduire par « qui a un seul tranchant »). Bokuto désigne donc en fait le sabre de bois tel que nous l'utilisons en Aïkido. Le terme Aïkiken, quant à lui, même s'il désigne habituellement l'emploi du bokuto en Aïkido n'est donc pas forcément le plus linguistiquement cohérent...
Un point c'est tout !
Bai Hui, alias Vaisseau Gouverneur n°20, est situé au sommet du crâne, au niveau de la fontanelle. Pour le localiser on cherche le croisement de la ligne imaginaire partant de la pointe des oreilles avec la ligne médiane du crâne.
Son nom se traduit par « 100 réunions ». Il est en effet le lieu de croisement d'un grand nombre de méridiens et de fait est réputé efficace pour traiter pléthore d'affections. Il permet de calmer l'esprit et d'éclaircir les sens. On l'emploie en cas de choc, de perte de mémoire, d'insomnies, de céphalées, mais aussi de prolapsus ou d'hémorroïdes.
C'est le point le plus « yang » du corps. Il est symboliquement le point le plus en contact avec les éléments célestes.