Être bon en Aïkido ?
Si l'on pratique régulièrement l'Aïkido, c'est que, vraisemblablement, on souhaite s'améliorer.
Mais s'agit-il de s'améliorer tout court, ou bien de s'améliorer dans cette pratique ?
Il me semble que la majorité des pratiquants songe à s'améliorer tout court. Le postulat de base étant que l'Aïkido est un art - martial ou non - à part. Et qu'à ce titre, le simple fait d'assister aux cours et de pratiquer les techniques de l'Aïkido nous améliore en tant que personne.
Là où le bât blesse, c'est qu'il est peu probable de s'améliorer selon un axe précis si on ne l'a pas préalablement défini. Je postule que si l'on souhaite s'améliorer il faut précisément définir ce que l'on souhaite améliorer et avec quels moyens. Idéalement, il faudrait même régulièrement vérifier la pertinence des moyens employés pour parvenir à l'objectif.
Premier cas
Si par exemple, on décide qu'un bon pratiquant d'Aïkido est une personne qui vit heureuse et en harmonie avec son environnement, alors il nous faut pouvoir dire en quoi l'Aïkido l'aide dans cette démarche. Il est invraisemblable de penser que c'est parce qu'on effectue 50 fois Ikkyo deux fois par semaine que l'on va devenir une meilleure version de soi-même. En revanche, on peut postuler qu'une pratique qui met un individu face à ses peurs et l'aide à travailler dessus, puisse l'améliorer.
Encore faut-il mettre en place des situations permettant de faire sortir telle ou telle peur et puis de réellement travailler dessus. Ce type de travail est très difficile à mettre en place dans de grands groupes de pratiquants, tels qu'on les retrouve généralement en Aïkido...
En outre, il nécessite des compétences que ne possèdent pas la plupart des enseignants d'Aïkido. En effet, les formations de CQP ou DEJEPS, pour des raisons éminemment pratiques, mettent principalement l'accent sur l'aspect technico-pédagogique et non sur les éventuels aspects relationnels, émotionnels ou psychologiques de la pratique.
Pour cette raison, il me semble hasardeux d'espérer devenir une meilleure version de soi, simplement en se rendant au dojo. Il serait plus judicieux de définir précisément ce que l'on souhaite améliorer et utiliser le contexte fournit par l'Aïkido pour s'observer et se corriger patiemment.
Deuxième cas
Si au contraire, ou parallèlement, on souhaite devenir bon dans la pratique, il nous faut également clairement définir ce que cela signifie.
En effet, comme il n'existe pas de compétition dans notre art, le plus haut niveau de pratique est l'enseignement. Cela a pour effet de rendre flou la notion de performance technique et il devient difficile de se figurer ce qu'est un bon pratiquant.
La manière dont est enseigné l'Aïkido – sous forme de katas – ne permet pas réellement de prendre conscience du niveau de quelqu'un. Encore plus lorsqu'il s'agit de l'enseignant. Tout simplement parce que c'est lui qui fixe le cadre dans lequel il agit, et qu'il est toujours plus facile d'être bon lorsqu'on est jugé selon ses propres critères.
Ainsi, un professeur peut être un excellent pratiquant de kata, mais un bien piètre combattant. Avoir une belle technique ne garanti pas d'être un bon combattant, cela dépend si l'on pratique le kata d'une manière qui le rende utilisable ou non en combat.
Ainsi, être bon en Aïkido peut signifier :
-faire de beaux mouvements (qui peuvent être inefficaces)
-être puissant (capacité souvent innée et pas nécessairement transférable dans un contexte armé)
-être capable de faire mal (capacité relative, puisque le seuil de la douleur est très variable chez chacun)
-être capable de réaliser une technique sur n'importe qui (mais parfois dans un cadre loin du monde du combat)
-être capable de réaliser une technique quelle que soit la qualité de l'attaque (au risque de se mettre à effectuer des techniques qui n'ont aucun sens, puisque les attaques n'en sont plus)
-être capable d'effectuer une technique sans que Uke ne puisse la bloquer et bien qu'il la connaisse d'avance (ce qui n'a aucun sens, puisqu'en situation « réelle » on ne sait jamais [d'avance] ce que Tori va faire d'avance)
-être capable de donner des sensations à son partenaire (parfois au détriment de l'efficacité, car il ne suffit pas que ce soit violent, rapide, souple ou surprenant, pour être dangereux)
-être capable de changer de technique rapidement (ce qui peut signifier être incapable d'être suffisamment bon pour effectuer la technique demandée)
-être capable de bloquer tout le monde, généralement en expliquant ce qu'il « faudrait » faire (au risque de devenir une cible immobile que l'on peut aisément frapper)
-être capable de chuter sur n'importe quelle technique sans se blesser (au risque de passer « simplement » pour un bon Uke)
-être capable de retourner une technique de manière fluide, sans faire usage de la force (au risque de laisser son partenaire dubitatif, puisqu'il n'a pas senti de « contrainte »)
-être capable de faire surgir la technique juste, celle qui est parfaitement adaptée à l'attaque (au risque d'être incompris dans son acte, puisqu'au fond cela est très intérieur et personnel)
-être un bon combattant (au risque de faire des mouvements peu orthodoxes pour le puriste, mais efficaces)
J'ai volontairement inclus quelques propositions subversives. Il est évidemment difficile de définir un bon pratiquant au sens technique, puisque chaque école va établir son jugement selon différents critères et il n'existe pas de shiaï pour couper court à la discussion.
Gardons à l'esprit que plus le pratiquant a un niveau élevé, moins il y a de personnes susceptibles de réellement percevoir son niveau et de le comparer à celui d'autres pratiquants avancés. Les étoiles nous semblent toutes être à la même distance de nous, mais il arrive parfois qu'elles soient plus éloignées entre elles que nous le sommes d'elles...
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Même un personnage hors du commun reste un simple mortel... et peut avoir besoin de lunettes ^^ |
Cet Article est initialement paru dans Aïkido Jounal n°69.