Lorsque nous entreprenons la pratique d’une discipline telle que le Shiatsu ou l’Aïkido, ce qui nous meut est généralement le plaisir… Au détour d’une démonstration nous avons été sensibles à une esthétique, à un positionnement moral ou éthique. Quelque chose en nous a fait écho à ce que nous avons vu, ou ressenti et nous avons souhaité pousser la porte qui sépare le spectacle de la pratique.
Les premiers mois au dojo ont été fantastiques. Nous avons découvert un nouvel univers, de nouvelles personnes, de nouvelles sensations. Et puis, et puis, le temps a passé. Nous avons essayé de progresser, de nous améliorer et la discipline est devenue un véritable enfer. Chaque cours n’a fait que nous servir le miroir navrant de nos inaltérables défauts. Nous avons perdu le goût de la pratique et nos passages au dojo sont devenus une routine. En désirant mieux rentrer dans la discipline nous avons perdu notre moteur premier : le désir.
Si le moteur est le désir, on peut imaginer que le carburant soit le plaisir. Le plaisir éprouvé pendant la pratique nourrira le désir de persévérer malgré les difficultés rencontrées. Bien souvent nous oublions qu’il faut prendre plaisir à ce que nous faisons si nous désirons durer dans l’étude et ainsi progresser. Qu’y a-t-il de plus important que d’être bien dans ce qu’on fait, quoique l’on fasse ? Le bonheur est le moyen de l’existence…
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Plus d'essence ? |
Plus on avance dans la pratique, plus cela devient difficile de conserver du plaisir et de l’émerveillement. Le terrain que l’on explore devient de moins en moins inconnu à mesure qu’on le défriche… Ainsi, on constate souvent qu’un débutant possède un enthousiasme qui peut faire défaut aux plus anciens. Comment conserver ce Shoshin, cet état d’esprit du débutant ?
La solution réside peut-être dans un changement de la nature de l’étude, non dans un changement de degré. Cela signifie que passé un cap (celui de la connaissance du catalogue technique, par exemple), la pratique doit s’orienter vers des aspects plus subtils. Ces aspects plus subtils – qui peuvent être de l’ordre de la justesse du maaï, de la qualité du contact, de la spontanéité – peuvent sembler secondaires au néophyte, mais ils font toute la différence. Paradoxalement, on peut avoir l’impression d’un retour en arrière, puisqu’au sein de cette recherche, la précision dans l’exécution formelle de la technique s’émousse parfois pour laisser surgir autre chose. Ce « retour en arrière » peut aussi s’accompagner d’un émerveillement pour des choses très simples : ces mêmes choses qui nous avaient séduites alors que nous étions débutants. La boucle est ainsi bouclée.
La difficulté est probablement d’accepter de s’émerveiller à nouveau pour ce qui est simple et ce qui semble évident. Comment redevenir sensible à ce qu’on a vu mille fois ? Comment se laisser émouvoir malgré les couches d’habitude que l’on peut avoir construites ?
Il existe heureusement des moments de grâce qui nous ramènent à notre sensibilité première. On ne choisit ni le jour, ni l’heure de tels instants : on ne peut que les accueillir…
J’ai récemment assisté à une telle démonstration. Sollicité par des amis je me suis déplacé sans grande conviction jusqu’au lieu de ladite représentation. J’ai passé la majeure partie de la manifestation dans un état d’oisiveté totale de l’esprit : je n’étais absolument pas concentré par le spectacle qui semblait illuminer les yeux de mes voisins.
Et à un moment, il y a eu de la musique… La porte s’est alors ouverte pour moi et j’ai été complètement absorbé par ce que je voyais. Cela aurait pu durer des heures que je ne me serais plus ennuyé. J’ai eu le sentiment, à ce moment-là, d’accepter d’être réceptif, d’accepter d’être sensible, d’accepter de « pleurer à l’intérieur ».
Il me semble qu’accepter que quelque chose nous touche, sans pour autant comprendre pourquoi, sans pour autant faire intervenir l’intellect, c’est faire un petit pas vers soi. C’est faire un grand pas vers le retour du plaisir dans la pratique.
Bonne pratique, au plaisir !